Quelles sont vos missions chez RATP Dev ? 

Je suis responsable de prévisions de trafic et recettes. 
C’est un enjeu majeur dans les réponses aux appels d’offre publics : nos clients autorités organisatrices demandent aux opérateurs de transport de s’engager sur des niveaux de trafic (fréquentation des voyageurs) et de recettes, et ce sur toute la durée des contrats. 
Nos prévisions de trafic déterminent en partie la contribution financière que l’on demande à l’autorité organisatrice pour opérer le réseau. 
On n’a pas le droit à l’erreur : si on prend des risques inconsidérés, on pourra mettre en péril l’économie des contrats ; si nos prévisions sont trop prudentes, notre proposition financière ne sera pas assez compétitive. L’enjeu pour un appel d’offre est donc d’établir la prévision la plus fiable possible. 

Utilisez-vous des outils spécifiques pour cela ? 

Il s’agit plus d’une méthodologie de prévision et d’un savoir-faire interne, qui ont fait leurs preuves : les résultats sont jugés convaincants par les assistances à maîtrise d’ouvrage (AMO) chargés de juger la fiabilité des chiffrages de nos offres. 

Nous construisons d’abord une base de données historiques, constituée de l’évolution de la fréquentation des voyageurs et de grandes variables contextuelles (offre kilométrique, tarifs…). Nous sommes ainsi en mesure de modéliser l’impact de ces variables sur la fréquentation. 
Cette simulation historique nous permet de calibrer des paramètres (élasticité, tendances de croissance…) qu’on utilise pour projeter le niveau de trafic et de recettes dans le futur. 

Au-delà du niveau de fréquentation des voyageurs, nous prenons généralement un risque financier sur les validations de titres de transport ou les recettes et ventes associées. Nos mesures de lutte contre la fraude sont donc essentielles pour sécuriser les revenus de RATP Dev en tant qu’opérateur. 

Comment la crise Covid impacte-t-elle ces estimations prévisionnelles et quels enjeux soulève-t-elle ? 

La crise sanitaire a bouleversé notre manière de travailler. Désormais, nous devons imaginer, sur des marchés que nous connaissons bien, l’impact de l’épidémie sur nos prévisions futures de trafic. Imaginer les scénarios de reprise de trafic a été un des gros chantiers de ces derniers mois.

La scénarisation du trafic porte d’abord sur les déplacements dits « obligés », professionnels et scolaires. Ces déplacements pèsent pour près de la moitié du trafic dans un réseau de transport et leur diminution a donc un impact très important. Ensuite, nous émettons des hypothèses de reprise de trafic sur des déplacements dits « non obligés », notamment pour motifs de loisirs ou d’achat. 
A cela, il faut également ajouter les changements de comportement de mobilité. Certains envisagent l’éventualité qu’à l’avenir les usagers se déplacent moins (effet télétravail de long terme, livraison privilégiée pour les achats…) et délaissent le transport public pour se reporter vers d’autres modes – que ce soient les modes actifs type vélo, ou la voiture. Nos scénarios de reprise permettent d’interroger ces postulats qui, s’ils étaient avérés, pourraient mettre en péril le trafic voyageur sur le long terme. 

Pour analyser ces tendances, nous avons mis en place un outil de reporting interne permettant de comparer une semaine donnée avec la même semaine de 2019 et d’observer de grands patterns similaires d’un réseau à l’autre. Nous avons sur certains réseaux (Angers, Brest, Valencienne, Lorient…), des remontées de données quotidiennes, c’est très précieux pour chiffrer la reprise du trafic. Nous avons pu en distinguer différentes phases : 

  • Phase 1 : période de confinement avec un trafic proche de 0 du 17 mars au 10 mai. 
  • Phase 2 : reprise du trafic progressive à partir du déconfinement jusqu’à l’été, où l’on a retrouvé en moyenne 75% du trafic de l’année précédente. 
  • Phase 3 : rentrée scolaire, où l’on aurait pu s’attendre à un deuxième rebond du trafic. On a néanmoins constaté un effet « plateau » de septembre à mi-octobre, avec une stagnation du trafic autour de 80%. 
  • Phase 4 : "2ème confinement" à partir du 30 octobre, le trafic est redescendu en moyenne à 50%.
  • Phase 5 : avec l’allègement des mesures à partir du 28 novembre et la réouverture des commerces dit "non-essentiels" avant Noël, le trafic est remonté assez rapidement à 65% de l’année précédente.

D’après les dernières données de janvier, nous ne percevons pas de plongée du trafic liée au couvre-feu mais nous observons toujours un effet de plateau où l’on est à 65-70% du trafic habituel sur nos principales filiales françaises.

Quels sont les grands enseignements que vous dressez ?

Si nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour affirmer des changements de comportements de mobilité sur le très long terme, les chiffres de reprise de RATP Dev sont globalement partagés dans la profession, comme le montrent les données de l’UTP (Union des Transports Publics) qui communique un suivi hebdomadaire similaire au nôtre. 

L’effet « plateau » constaté depuis l’automne 2019 fait partie des inquiétudes que les opérateurs peuvent avoir. La baisse de fréquentation impacte directement l’économie de nos contrats et la question des conséquences de l’épidémie se pose nécessairement pour les contrats et appels d’offre en cours. 

Êtes-vous optimiste pour l’avenir de la fréquentation du transport public ? 
Nous sommes optimistes sur la reprise de la fréquentation des transports publics à long terme
: cette tendance s’inscrit dans une volonté forte des pouvoirs publics d’encourager les transports partagés et le désenclavement des territoires et dans la lutte contre le changement climatique. 

A court terme, la situation est plus contrastée et on constate des différences localement. Avec par exemple une reprise plus nette de la fréquentation sur les réseaux dont la part de voyageurs « captifs » (personnes qui n’ont pas d’autres choix que les transports publics pour leurs déplacements, par exemple les scolaires) est élevée. 

Pour accélérer ce retour des voyageurs, nous avons une responsabilité en tant qu’opérateur de transport public : maintenir une qualité de service élevée et redonner confiance aux voyageurs. 

Pour résumer, les opérateurs de transport sont encore dans une phase d’observation, d’analyse et de compréhension de l’impact du Covid. Nous consolidons d’ailleurs nos scénarios de reprise au fur et à mesure que les données remontent. Les retours d’expériences sur la reprise de trafic observée depuis le premier déconfinement et nos outils de prévisions sont essentiels pour l’élaboration de nos projections futures.